« Le plus important en communication, c’est la première impression »
« Le plus important en communication, c’est la première impression ». Je me souviens encore nettement de ma prof de communication prononçant cette phrase exacte à son entrée en trombe dans la salle de classe pour nous donner son premier cours, en retard, haletante et habillée en rose des pieds à la tête. Le décalage un peu cocasse entre le sens de ces mots et cette arrivée animée a constitué une bonne illustration de première impression mitigée ! Que cette professeure pédagogue et pleine d’entrain a d’ailleurs immédiatement utilisé en guise d’introduction, comme exemple de ce qu’il faut éviter de faire en arrivant à un entretien d’embauche ou à une réunion importante. Pour sûr, le message est passé !
Pourquoi la première impression compte-t-elle autant ? Tout simplement parce que le cerveau humain est fainéant, ou plutôt parce que son premier réflexe est de nous épargner un traitement de l’information complexe, coûteux en temps et en énergie. Effet de halo, biais de confirmation, effet d’ancrage… De nombreux biais cognitifs sont à l’œuvre dans la formation de nos jugements et dans les choix que nous faisons, et les décisions auxquelles ils mènent sont souvent considérées comme peu réfléchies et donc non-rationnelles. Néanmoins, notons que les décisions basées sur les biais cognitifs ne sont pas toujours mauvaises1.
Lorsque l’on souhaite communiquer un message, il faut donc composer avec ces biais, et notamment avec le biais de première impression, aussi appelé effet de primauté. Comme les autres biais de cognition, il correspond à une limitation du traitement de l’information chez l’humain. Ainsi, notre regard sur une idée donnée est fortement influencé par le premier élément d’information auquel nous sommes exposé·es. En effet, cette première information nous oriente (positivement, négativement ou de façon neutre) dans l’évaluation de l’ensemble des éléments auxquels nous sommes confronté·es ensuite, avec des jugements secondaires allant dans le même sens que l’évaluation faite initialement. Le premier élément domine largement les suivants, et c’est d’autant plus vrai lorsque la première impression est négative2.
Dans de nombreuses situations, le premier élément d’information est souvent visuel, et c’est alors le support du message et/ou le/la porteur·euse du message qui conditionnent le jugement initial (et donc le jugement global, au vu du poids du jugement initial). Et la communication d’informations scientifiques n’échappe pas au biais de première impression !
La première impression rentre en jeu quand on communique de la science
Comme dans de nombreux domaines, le visuel joue un rôle prépondérant dans la communication de résultats et d’idées scientifiques, d’autant que la première impression sur une information scientifique se forme très rapidement. Par exemple, les gens décident s’ils trouvent une infographie attrayante ou pas en 500 milli-secondes3. C’est certes 10 fois plus long que le temps qu’il faut pour se forger une opinion à propos d’un site internet (50 ms 4), mais cela ne représente jamais qu’une demi-seconde.
Dès lors, la décision du public de s’intéresser à une actualité scientifique plutôt qu’à une autre dépend en partie de critères esthétiques5; la communication scientifique semble être traitée comme une forme de divertissement où l’impact émotionnel et l’attrait esthétique sont des qualités recherchées. Pour susciter un intérêt initial envers une information scientifique, l’apparence des supports utilisés est donc primordiale et aura également un impact sur la portée du message communiqué6. L’objectif est de capter l’attention du public visé et de la garder suffisamment longtemps pour que le message soit compris, voire qu’il soit diffusé. Il s’agit donc d’obtenir un fort niveau d’engagement de l’audience, c’est à dire un fort degré d’implication qui se traduit notamment par de l’attention, de l’intérêt et un investissement émotionnel susceptible de générer une participation active. Ainsi, la promotion d’un article scientifique sur les réseaux sociaux via la diffusion d’une illustration résumant l’étude aura 2 à 3 fois d’impact que le partage d’un graphique de l’article7.
En plus d’augmenter l’engagement, les qualités esthétiques d’une information scientifique la rendent également plus accessible : des visuels bien conçus facilitent la compréhension8 en diminuant la charge cognitive qui peut y être associée (diminution du besoin de concentration). La mémorisation du message sera elle aussi favorisée lorsqu’il est appuyé par un visuel9, notamment si ce dernier est élaboré de manière à limiter la quantité d’informations à retenir. Et les bénéfices de l’utilisation de visuels scientifiques engageants et efficaces sont valables tant pour faire de la vulgarisation auprès du public que pour communiquer au sein de la communauté scientifique.
Le visuel compte aussi pour les scientifiques
Car les scientifiques ne sont pas exempts de biais cognitifs : malgré leur entraînement et leur attachement à la méthode scientifique, et donc une volonté d’être rationnels et d’aller chercher le fond au-delà de la forme, ielles se laissent également influencer par la façon dont sont présentés les idées et résultats. Ainsi, les articles comportant des visuels attrayants et informatifs sont plus sujets à être partagés par les pairs et discutés au sein de la communauté scientifique. D’ailleurs, il s’avère que la promotion d’un article sur les réseaux sociaux peut augmenter son taux de citation10,11, ce qui témoigne qu’une audience de spécialistes concerné·es par le sujet a été atteinte par la diffusion de l’article.
En outre, le nombre toujours plus important d’articles scientifiques publiés rend plus difficile la mise en lumière de ses recherches au milieu de l’effusion de connaissances dont regorge la littérature scientifique. Il s’agit pour les chercheur·euses de se faire remarquer parmi la masse à l’aide de visuels pertinents pour attirer l’attention sur leur contribution et favoriser la diffusion de leurs travaux. Il faut également considérer que certain·es scientifiques peuvent être intéressé·es par les résultats présentés sans pour autant être des expert·es du domaine, comme c’est le cas au sein des jurys d’évaluation des demandes de financement. Des figures et résumés graphiques clairs et bien pensés peuvent là encore permettre d’augmenter la compréhension de ses travaux et de convaincre.
L’esthétique d’un visuel scientifique sera donc tout aussi important pour la communication d’une information adressée à la communauté scientifique que pour une diffusion auprès du grand public. L’effet décisif de la « première impression » explique la reconnaissance croissante de l’importance d’une communication visuelle efficace dans les documents scientifiques. Cependant, avec des tâches toujours plus nombreuses et variées, il est parfois difficile pour les chercheur·euses d’ajouter la corde de la visualisation scientifique à leur arc ou de trouver du temps à y consacrer. Faire appel à un·e spécialiste de la visualisation scientifique peut être une solution afin d’améliorer la visibilité de ses travaux et d’en augmenter l’impact au sein de la communauté scientifique et sur la société.
Morgane Gillard, PhD
Références
1 Gigerenzer, G., & Gaissmaier, W. (2011). Heuristic decision making. Annual review of psychology, 62, 451-482.
2 Hirshleifer, D., Lourie, B., Ruchti, T. G., & Truong, P. (2021). First impression bias: Evidence from analyst forecasts. Review of Finance, 25(2), 325-364.
3 Harrison, L., Reinecke, K., & Chang, R. (2015, April). Infographic aesthetics: Designing for the first impression. Proceedings of the 33rd Annual ACM conference on human factors in computing systems (pp. 1187-1190).
4 Lindgaard, G., Fernandes, G., Dudek, C., & Brown, J. (2006). Attention web designers: You have 50 milliseconds to make a good first impression! Behaviour & information technology, 25(2), 115-126.
5 Gheorghiu, A. I., Callan, M. J., & Skylark, W. J. (2017). Facial appearance affects science communication. Proceedings of the National Academy of Sciences, 114(23), 5970-5975.
6 Perra, M., & Brinkman, T. (2021). Seeing science: using graphics to communicate research. Ecosphere, 12(10), e03786.
7 Oska, S., Lerma, E., & Topf, J. (2020). A picture is worth a thousand views: a triple crossover trial of visual abstracts to examine their impact on research dissemination. Journal of Medical Internet Research, 22(12), e22327.
8 Courtney, S. L., & McNeal, K. S. (2023). Seeing is believing: Climate change graph design and user judgments of credibility, usability, and risk. Geosphere, 19(6), 1508-1527.
9 Wang, Z., Wang, S., Farinella, M., Murray-Rust, D., Henry Riche, N., & Bach, B. (2019, May). Comparing effectiveness and engagement of data comics and infographics. Proceedings of the 2019 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems (pp. 1-12).
10 Betz, K., Knuf, F., Duncker, D., Giordano, M., Dobrev, D., & Linz, D. (2021). The impact of Twitter promotion on future citation rates: the# TweetTheJournal study. International Journal of Cardiology. Heart & Vasculature, 33.
11 Hou, L. T., Pierorazio, P. M., & Koo, K. (2020). Impact of social media visual abstracts on media attention and literature citation in urology. Journal of Urology, 204(5), 905-906.